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Lucette Segura : « Les sexologues ont de beaux jours devant eux »

  • Photo du rédacteur: Oriane Chaït
    Oriane Chaït
  • 19 juin 2018
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 juin 2020


En 25 ans de carrière à Montpellier, Lucette Segura a pu constater les dégâts du sexe « au bout du clic ». Entre addiction, impuissance, comportement amoureux complexe, la professionnelle livre son regards avisé sur les nouveaux modes de consommation du sexe.



Avez-vous remarqué un changement des comportements sexuels depuis l'avènement d'Internet ?

Indéniablement. L'accès aux contenus sexuels et au sexe en lui-même est beaucoup plus facile d'accès. Ce phénomène d'ultra-accessibilité change les paramètres de notre psychologie et de nos désirs. J'ai un patient qui a commencé à regarder des images pornographiques à l'âge de 12 ans. Il s'est pourri le cerveau. Le cerveau n'oublie aucune image. On croit qu'on les oublie, mais ce n'est pas le cas. On refoule ces images puis on va saturer la boîte d'images pornographiques. Et au bout d'un moment, ça devient des addictions. Parce que l'effet que l'on a au départ s’atténue. Il en faut plus. On peut parler d'une addiction à la rencontre, au sexe ou à la pornographie. Quand on veut s'arrêter, les mêmes difficultés qu'avec l'alcool, la cigarette ou la drogue se présentent.



Quels sont les critères qui permettent de définir une addiction au sexe ?

Définir un début pour cette maladie n’est pas simple. Il n’existe pas de limite bien claire et définie. Pour l’activité sexuelle, personne ne va se poser la question de combien de fois il est autorisé à faire l’amour avec son partenaire ou de se masturber. En règle générale, l’être humain et son organisme sont faits de telle façon qu’au plus tard après trois ou quatre rapports par jour, l’intérêt et la motivation et le temps ne sont plus au rendez-vous. Cependant, quand la fréquence des rapports et besoins devient excessive, croissante et échappe au contrôle, alors on peut commencer à parler d’addiction au sexe. Les personnes addictes au sexe ne peuvent pas s’arrêter. Non seulement, elles y pensent en permanence, mais elles se sentent obligées de le pratiquer en permanence. Ce besoin de consommation obsédant occupe un temps considérable. Les autres activités de la vie courante sont délaissées et deviennent annexes à cause de cela.


Quelles peuvent être les conséquences de cette addiction ?

L’addiction au sexe provoque très rapidement un fort sentiment de culpabilité et de honte. La solitude s’installe. Le désespoir peut amener la personne concernée à des états dépressifs, des tentatives de suicide ou au suicide. Il est difficile de vivre avec une personne souffrant d’une addiction au sexe. Les problèmes de couple deviennent vite insurmontables et la rupture souvent inévitable. Cette addiction peut devenir coûteuse. Des problèmes de santé comme des maladies sexuellement transmissibles ou liés à une négligence de l’hygiène de vie surviennent également fréquemment. Souvent, l’addiction au sexe est accompagnée par d’autres addictions comme le mésusage de l'alcool ou l’abus des tranquillisants et des somnifères.


Comment "la pornographie au bout du clic" peut altérer la psychologie d'une personne ?

Nous avons été conçus pour fonctionner naturellement, pas avec un ordinateur. Donc nous ne sommes pas fait pour pouvoir convoquer d'un coup des images pornographiques chez nous avec de vrais sujets. Avant la pornographie ultra-accessible, nous pouvions les imaginer, mais pas les convoquer et les faire exister. Aujourd'hui, on peut consulter du conscient pour aller vers l'inconscient. Alors que c'est l'inverse qui devrait nous régir. Les images pornographiques que l'on peut emmagasiner amoindrissent la capacité d'imaginaire érotique.


« Vivre, c'est gérer des frustrations »

Les applications de rencontre, qu'est-ce que ça dit de la société selon vous ?

Ce genre d'applications montre qu'au fond, on consomme des objets. On ne consomme pas de sujets. Un sujet, c'est un être sensible avec des sentiments. Si je vous réduis à un objet, je vous utilise et je vous consomme. Par exemple, si vous allez voir une prostituée, vous pouvez avoir l'impression d'avoir rencontré un objet que vous pouvez consommer. Parce qu'elle vous dit, si je fais ça, ça coûte tant... Elle se présente comme un objet. Elle ne vous embrassera pas sur la bouche par exemple parce que c'est affectif et qu'un objet n'est pas affectif.


Est-ce qu'à travers ces rencontres éphémères, on ne cherche pas à combler un vide ?

Il peut s'agir d'une certaine misère affective. Quand quelqu'un n'est pas capable d'avoir une relation avec un sujet et donc d'ouvrir la case "amour", il va rencontrer quelqu'un pour assouvir ses besoins physiologiques. Mais l'être humain est dans l'obligation de gérer des frustrations. Du matin au soir, nous gérons des frustrations. Vivre, c'est gérer des frustrations. Or, on s'aperçoit que tout ce qui est addiction empêche de gérer ceci. Ça vient empêcher la réalité d'exister. Un être humain qui ne sait plus gérer les frustrations est condamné à mort. Ce qui est certain, c'est que les sexologues ont de beaux jours devant eux.


Oriane Chaït

 
 
 

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